Un attentat terroriste a fait au moins vingt-deux morts et cinquante-neuf blessés à l’issue d’un concert d’Ariana Grande lundi soir à Manchester, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Des jeunes et des enfants font partie des victimes. L’attentat a été revendiqué par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI). Son auteur, un Britannique de 22 ans, est mort en faisant exploser une bombe parmi des spectateurs. La chanteuse Ariana Grande a réagi rapidement après l’attaque sur Twitter : “Brisée. Du fond de mon coeur je suis tellement désolée. Je ne trouve pas les mots.”
En novembre 2015, après les attentats de Paris, “Julie” avait recueilli les questions des lectrices et demandé à Hélène Romano, psychologue et spécialiste de psychotraumatisme, d’y répondre. Nous republions aujourd’hui cette interview, malheureusement toujours d’actualité.
 

Comment peut-on commettre des attentats contre des gens qui n’ont rien fait ?
Parler d’ « attentat », c’est très angoissant. Il vaudrait mieux parler d’actes de guerre. Voilà pourquoi : la guerre, tu l’as étudiée en classe, tu sais qu’il y a un début et une fin. Ce qu’on vit aujourd’hui, c’est une guerre, mais une guerre de l’ombre, qui ne ressemble pas à celles que tu étudies en classe. Parler d’ « acte de guerre » pour décrire ce qui se passe aujourd’hui, cela veut dire qu’un jour, ces actes s’arrêteront. Et cette guerre se terminera.
Ces hommes qui s’en prennent à des innocents, ce sont des terroristes ; moi, je préfère le mot d’idéologues. Chaque individu est différent par son sexe, sa couleur de peau, son origine, sa religion, etc. Pour vivre tous ensemble, il faut se respecter et pouvoir débattre les uns avec les autres. Mais il y a des gens extrémistes, des idéologues, qui ne sont pas d’accord. Eux, ils veulent tuer tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Ils tuent au nom de la religion musulmane. Mais il ne faut pas confondre ce très petit nombre d’idéologues (qu’on appelle aussi des islamistes) avec les autres musulmans.
Comment lutter contre des gens qui n’ont pas peur de la mort ?
Cette question est très juste mais très complexe car la mort, ce n’est pas un sujet facile ! Ne sois pas déçue si les adultes à qui tu poses cette question ne savent pas répondre ; même s’ils te disent « Je ne sais pas », aucune de tes questions n’est interdite ! Celle-ci est importante, car elle interroge sur la valeur de la vie. Dans l’histoire, il y a déjà eu des gens comme eux, des kamikazes japonais pendant la Seconde guerre mondiale, d’autres terroristes ailleurs en Europe. Ces gens sont tellement malades, tellement contaminés par leur idéologie qu’ils deviennent des machines, incapables de penser, et sont prêts à se transformer en bombes pour tuer le plus de monde. Ils ne voient pas leurs victimes comme des êtres humains, n’ont aucune empathie, aucune attention pour elles. Les nazis, pendant la Seconde guerre mondiale, se comportaient de la même manière. La bonne nouvelle, c’est que la société a lutté contre ces idéologues et a réussi à les stopper. Que faire face à ceux qui ne respectent pas l’humanité ? On ne se soumet pas. On lutte, on crée des liens, on fait confiance à des gens bien, on reste ensemble.
Moi, je n’ai même pas peur… 
Mais tu as le droit d’avoir peur ! La peur n’est pas une émotion négative, c’est une défense face à l’horreur, qui permet de mieux réagir et d’être plus attentif. On peut aussi faire quelque chose de positif de cette peur : relativiser certains problèmes, prendre soin les uns des autres, dire aux gens qu’on aime qu’on est là pour eux. Cette peur, il ne faut pas faire comme si elle n’existait pas, mais plutôt l’apprivoiser.
Tout ça m’angoisse tellement que je n’ai plus envie de bouger de chez moi !
L’angoisse, ce n’est pas la même chose que la peur. L’angoisse est émotionnelle, irrationnelle ; elle déborde, contamine toute ta vie… et paralyse. La peur, au contraire, est positive car elle met ton organisme en alerte et t’aide à réagir comme il faut. Par exemple, tu te fais embêter au collège. Tu as peur ; ton cœur s’accélère, pour que tu sois prête à te défendre. Ici, la peur est salvatrice (elle te sauve) mais il faut prendre le contrôle sur elle. Quand tu as peur de quelque chose, comment fais-tu pour ne pas te laisser envahir par cette émotion : tu penses à tes parents ? à une copine ? à tes dernières vacances ? Tu te réconfortes avec un morceau de chocolat ? Fais-toi confiance : tu as en toi des capacités pour faire face à cette peur !
J’entends partout qu’il faut parler de ce qui vient d’arriver ; pourquoi ça fait du bien de parler ? Moi, je n’ai pas très envie de parler…
Parler, ce n’est pas magique ; ce n’est pas dire n’importe quoi à n’importe qui ! Parler peut te faire du bien si tu en as envie. Mais tu n’es pas obligée. Ne te force pas à parler de ce que tu as vécu, vu ou ressenti si tu n’en éprouves pas le besoin. Toi, tu préfères peut-être textoter, faire un skype avec une amie, écrire, dessiner, aller faire un foot ou du shopping pour te libérer du stress.
Je me sens coupable : j’étais triste en apprenant la terrible nouvelle, mais plus maintenant…
En ce moment, on a l’impression qu’on devrait tous être triste, en même temps que tout le monde. Mais tu as le droit d’être triste… puis gaie quelques minutes plus tard. On observe souvent cela, chez les plus jeunes. Tu peux aussi ne pas être triste car tu ne te sens pas très concernée ; c’est ton droit. Ou alors tu peux te sentir triste parce que tu penses à ta mort… et pas à celle des victimes. Il n’y a pas d’un côté une bonne émotion (être triste en même temps que tout le monde) et de l’autre, une mauvaise émotion. Ne culpabilise pas d’avoir envie de rigoler, de profiter des copains : tu as le droit de passer à autre chose ! C’est la vie…
Pourquoi ça fait du bien de faire des petites gestes suite à un attentat ?
Face à la mort, on a besoin de ne pas être passif. Faire quelque chose de concret (allumer une bougie, faire un dessin, etc.) te permet de reprendre (un peu) le contrôle sur la situation et donc, de la vivre un peu mieux. Dans ces petits gestes, il y a aussi l’idée qu’on retrouve une force, tous ensemble, face à quelque chose de difficile. Ensuite, quand quelqu’un est mort, ces gestes montrent qu’on ne l’oublie pas. Ils prouvent enfin que même si tu n’es pas encore une adulte, tu peux toi aussi tenir ta place de citoyenne !
Comment réagir face à quelqu’un qui a l’air de se moquer de ces hommages ?
Faire des gestes collectifs comme une minute de silence, c’est bien. Mais il ne faut pas en faire trop ; car les rituels de deuil, c’est quelque chose d’intime, d’individuel. Vouloir faire trop de gestes collectifs pourrait créer chez ceux qui ne se sentent pas concernés un sentiment d’exclusion ou d’agressivité. Il suffit juste de respecter ceux qui se sentent concernés…
Et si quelqu’un dans ma classe dit des choses horribles ?
Face à quelqu’un qui défend une idéologie (comme ce camarade), tu risques de perdre beaucoup d’énergie à discuter avec lui. Et ce n’est pas forcément au moment où tu es fragilisée par ce qui vient d’arriver qu’il faut débattre avec lui. Mais tu n’es pas responsable des idées de ton camarade… Tu peux lui dire : « Je ne suis pas d’accord avec toi » et lui expliquer pourquoi. Dans ta vie future, tu rencontreras des idéologues ; ce sera difficile à vivre. Car ces personnes ne sont pas accessibles à la parole, au raisonnement. Donc, tu ne les convaincras pas toute seule ! Par contre, il y a des choses que tu peux faire en tant que citoyenne : organiser un débat avec les délégués de classe, proposer d’inviter quelqu’un d’extérieur, etc.
Propos recueillis par Anne Lamy.